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الخميس، 28 فبراير 2013

Le sage et la pie



Au temps des Royaumes combattants, le Fils du Ciel n'avait plus d'empereur que le titre. La Chine était livrée aux seigneurs de la guerre qui se disputaient sans répit les dépouilles de l'empire. Le roi de Wou avait décidé de conquérir le royaume de Chou dont l'armée était, selon plusieurs rapports, bien inférieure en nombre et moins bien équipée que la sienne. Pendant les préparatifs, ses espions lui signalèrent qu'un autre roi voisin massait des troupes aux frontières, attendant sans doute que l'armée de Wou quitte le royaume pour l'envahir. Le souverain ne voulut rien entendre et persista dans son projet de conquête. Ses ministres étaient très inquiets. L'un d'entre eux eut l'audace de lui parler ouvertement de ses craintes et il fut révoqué sur-le-champ.

 

Tchouang-tseu, à cette époque, déambulait avec son chapelet de disciples dans le royaume de Wou. Le dignitaire destitué lui rendit visite pour lui demander d'intervenir auprès du roi avant que le pays ne soit jeté en pâture au dragon de la guerre. Le sage promit de tenter quelque chose.

 

Quelques jours après, Tchouang-tseu fit irruption dans la salle du trône, hirsute, les mains ligotées, prisonnier d'un rustre qui portait l'uniforme des gardes-chasse royaux !

 

Le roi de Wou, au comble de l'indignation - car il avait reconnu le sage vénérable qu'il était allé plusieurs fois consulter -, demanda aussitôt que l'on délie les mains du prisonnier. Il réprimanda le garde-chasse pour tant d'inconséquence et le démit aussitôt de ses fonctions. Mais celui-ci se prosterna à plusieurs reprises et se défendit en expliquant qu'il avait surpris le dénommé Tchouang-tseu en train de braconner dans le parc royal de l'Ouest. Il exhiba l'objet du délit: un arc qu'il avait arraché des mains du contrevenant. Le roi, perplexe, se tourna vers le vieux maître et lui demanda ce que cela signifiait.

Tchouang-tseu caressa sa barbiche crayeuse et répondit:

 

-Eh bien, Sire, il m'est arrivé une étrange aventure. J'étais parti chasser dans la prairie qui borde le parc de Votre Majesté, avec la ferme intention de n'en point franchir les limites, ayant bien vu les bornes où était gravé votre sceau. Je marchais donc parmi les hautes herbes, guettant l'envol d'une proie, quand, soudain, l'aile d'une pie frôla mon chapeau. Elle se posa à la lisière de votre parc. Je me suis dit: comme c'est étonnant, elle m'a frôlé sans me voir et elle est maintenant à ma merci, à portée de flèche de mon arc ! Intrigué, je m'approchai de l'oiseau pour découvrir ce qui lui avait fait oublier toute prudence. Il fit quelques sauts dans le sous-bois, je le suivis, et il s'immobilisa tout à coup comme s'il allait fondre sur une proie. Je m'avançai encore sans que la pie me remarque et je vis qu'elle attendait qu'une mante religieuse, cachée derrière une feuille, s'empare d'une cigale, pour bondit et manger les deux insectes à la fois ! Voulant profiter de cette double ration, elle n'avait pas vu le chasseur derrière elle. Et je me fis la réflexion suivante: ainsi est la nature animale; aveuglés par leur appétit, les bêtes oublient de se garder du danger. C'est alors que votre garde-chasse me surprit et m'arrêta comme un vulgaire braconnier ! Et je me fis la réflexion suivante: ainsi est la nature humaine; captivé par le monde extérieur, l'homme oublie de se garder de lui-même !

 

Et le roi de Wou comprit la leçon. Il abandonna son projet d'invasion, échappant ainsi de justesse au pièce qu'avaient ourdi ses voisins.

 

 

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