الاثنين، 18 مارس 2013

Bonheur : les leçons de la Chine

 
L’irruption en force de la Chine dans notre présent nous grise, de l’urbanisme futuriste de Shanghai à l’invasion des textiles à bas prix, en passant par une croissance qui nous relègue au rang des escargots. On en oublierait presque le majestueux passé d’une Chine dont la philosophie peut nous inspirer aujourd’hui d’autres manières de considérer notre vie et notre action.

C’est ce que nous explique François Jullien, philosophe français pétri d’hellénisme, qui s’est fait sinologue pour explorer un continent encore à découvrir, la pensée chinoise. Son dernier essai, Nourrir sa vie, est étrangement sous-titré A l’écart du bonheur. Il nous apprend que le bonheur, concept né de la philosophie grecque, ne faisait pas partie des préoccupations des penseurs de l’antiquité chinoise. En revanche, Zhuangzi, contemporain de Platon, valorise la notion de « nourrir sa vie ». Peut-être nous ouvre-t-elle une autre approche du bien-être, curieusement en phase avec nos préoccupations actuelles.
François Jullien est philosophe et sinologue, il est aujourd’hui professeur à l’université Paris VII-Denis-Diderot et dirige l’Institut de la pensée contemporaine. Ses nombreux ouvrages sur la pensée chinoise et la philosophie européenne sont publiés dans une vingtaine de pays. Parmi eux : Le Nu impossible (Points Seuil, 2005), Traité de l’efficacité (Le Livre de poche, 2002) et le plus récent, Nourrir sa vie, à l’écart du bonheur (Seuil, 2005).
Psychologies : A vous lire, on a l’impression que l’idée de bonheur n’aide pas tellement à être heureux ?
François Jullien : Tout le monde, dit-on, aspire au bonheur. Mais l’idée de bonheur, qui paraît la plus commune, est en fait culturellement marquée. Non seulement dans son contenu, mais comme idée. C’est ce que j’essaye de montrer en relisant nos philosophes à la lumière de la Chine. Car le bonheur, c’est se poser des buts, et donc opérer une construction ; toutes nos finalités particulières convergeant vers une finalité suprême. C’est elle que l’on nomme le bonheur. Or, côté chinois, on se désintéresse de la finalité. Le sage vit dans le tao « comme un poisson dans l’eau ». Il ne tend vers rien, évoluant librement, au gré. Sa vie consiste à « flotter » : il demeure toujours en mouvement, mais sans direction projetée ; il est sans destination et même sans aspiration.
Si l’on est dans la contemplation, on n’est plus dans l’action. Ne se rapproche-t-on pas de la conception chinoise ?
Il y a souvent une incompréhension sur le « non-agir » chinois. Le non-agir, ce grand mot de la pensée chinoise, toutes écoles confondues, mais mis en valeur surtout par le taoïsme, n’est pas du tout un non-agir par désintérêt à l’égard du monde, par désengagement ou par passivité. L’idée est que l’on est d’autant plus efficace que l’on n’agit pas – que l’on « ose ne pas agir ». En Chine, le stratège comme le sage s’appuient sur les facteurs favorables pour les laisser agir à leur place. L’individu qui s’appuie sur la situation pour en exploiter le potentiel n’a donc pas à intervenir, à s’investir, et donc à risquer pour réussir.
Si je sais exploiter la situation en m’appuyant sur ses facteurs « porteurs », j’ai d’autant plus de chances d’atteindre le succès et j’évite de me dépenser. Mencius prend pour exemple la croissance de la plante : ni on tire sur la plante pour la faire pousser, ni on se contente de la regarder pousser ; mais on bine, on sarcle au pied de la plante, pour en favoriser la poussée. On « aide » alors « ce qui vient tout seul », comme dit Laozi. Or n’est-ce pas ce que tout paysan fait ? Plutôt que de célébrer l’action, la Chine, terre d’agriculteurs, a pensé ce processus discret de maturation.

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