Lucien Israël dans son livre "Cerveau droit, cerveau gauche : cultures
et civilisations" fait la distinction entre civilisations basées sur des
critères de cerveau droit et, essentiellement aujourd’hui, la civilisation
occidentale, fondée sur le mariage, très hémisphère gauche, du génie Grec et de
la culture judéo-chrétienne. D’autres civilisations se sont, au cours de
l’Histoire, développées selon les puissants préceptes du cerveau gauche, des
sumériens, aux égyptiens, en passant par les mayas, de la Chine de Confucius à
l’Inde des yogis. Elles ont toutes développé une réflexion philosophique très
riche, construit une littérature originale, codifié le droit, elles ont pour la
plupart été de très grandes civilisations urbaines, impliquant des savoirs
théoriques et pratiques très importants, elles ont su modifier l’environnement
et le maîtriser au profit des hommes, mais elles se sont toutes éteinte au
seuil "de la grande aventure du déchiffrage du monde… au seuil de la
société industrielle et de la technologie moderne, qui ne sera empruntée que
plus tard à l’Occident." Comme le montrent ces civilisations formidables
qui nous ont précédées, et dont les connaissances sont aujourd’hui considérées
comme faisant partie du patrimoine de l’humanité, la voie du cerveau gauche ne
mène pas qu’à la science.
Dans les sociétés traditionnelles, l’emprise des dieux, des ancêtres, de la
magie est encore déterminante alors que la logique, la raison ou la critique ne
sont que secondaires. Ce sont des sociétés qui vivent au rythme de l’hémisphère
droit, où l’hémisphère gauche n’est pas encore dominant. Ce sont les Indiens
d’Amériques, les Aborigènes d’Australie, les cultures africaines, et d’une
façon générale, tous les peuples qui ont gardé un contact étroit avec la
nature. Depuis Levy-Strauss on sait que ces cultures, souvent appelées
primitives, possèdent en fait des langages d’une extrême complexité et d’une
précision inouïe pour tout ce qui concerne les relations entre les hommes et la
nature. Ce sont des langues concrètes, qui n’utilisent ni prépositions, ni
articles, qui ignorent la négation et qui sont éminemment poétiques,
c’est-à-dire dont le sens jailli de la juxtaposition d’images évocatrices. Ce
sont bien là, nous l’avons vu les caractéristiques du langage de l’hémisphère
droit. Aujourd’hui le contact des civilisations traditionnelles avec la
civilisation occidentale , par les critères économiques qu’elle impose au monde
et par la télévision qui véhicule son "image du monde", amène des
peuples entiers à perdre les racines de leurs cultures traditionnelles.
Savoir associer les deux
Lucien Israël montre que si la civilisation de cerveau gauche, qui est la
notre, a su, en un temps très court de l’histoire de notre évolution, faire
faire un bond prodigieux à l’humanité elle a su aussi, parallèlement, en se
dédouanant des impératifs de survie de l’espèce, créer tous les outils de sa
propre destruction, et avec elle de la planète entière. L’auteur pense que ce
n’est pas un hasard si nous découvrons aujourd’hui les facultés oubliées du
cerveau droit, et que notre salut tiens sans doute dans la création d’une
civilisation qui saurait associer de façon optimale les capacités de nos deux
cerveaux.
L’exemple du Japon
A cet égard la culture japonaise offre des particularités très
intéressantes. Le Japon est le seul pays au monde à posséder un double système
d’écriture. Dans une même phrase, le japonais associe, en effet, un système
digital, conventionnel, l’Iragana, et le système analogique des Kanji chinois.
L’Iragana est une écriture syllabique : des phonèmes assemblés forment des mots
qui sont reconnus par convention. Les Kanji sont des idéogrammes qui ont une
signification par analogie avec le dessin qui les compose, ils représentent,
sous une forme très stylisée, des aspects de la réalité. Le caractère
"homme" par exemple figure le dessin schématique d’un homme debout.
En un seul caractère, le Kanji exprime un concept ainsi que ses nombreux sens
dérivés. C’est le contexte qui permettra d’attribuer le sens précis attribué
par l’auteur, sans toutefois retirer l’ensemble des connotations qu’apportent
les sens associés. Ce système laisse une grande place au non-dit, au vide qui
est central dans la culture japonaise et qui, comme dans leur peinture, crée le
sens, crée la vie. Cette particularité, vieille de plusieurs siècles, signe une
culture qui est à cheval sur les deux tendances du cerveau. Les possibilités
rationnelles et logiques de leur cerveau gauche, développées par la partie conventionnelle
et digitale de leur écriture, a permis aux japonais d’assimiler et de maîtriser
en très peu de temps la science, la technologie et l’économie occidentale, au
point d’être aujourd’hui les leaders mondiaux de tous ces secteurs. Par
ailleurs, la culture japonaise avait, traditionnellement, poussé très loin le
développement de capacités dont on sait aujourd’hui qu’elles relèvent de
l’hémisphère droit. Le Japon est, encore aujourd’hui, extrêmement ritualisé, le
sens du sacré pénètre tous les gestes du quotidien et anime la nature toute
entière. Les arts martiaux, le Zen, la calligraphie, la peinture au lavis, la
musique, le théâtre Nô, ou encore l’Ikébana, l’art de l’arrangement floral sont
des manifestations d’une notion essentielle au Japon : le Ki. Pour les
japonais, le Ki est la force qui traverse tous les êtres vivants, du minéral à
l’humain, c’est cette force invisible, insaisissable, et sans forme qui les
anime et les maintient en vie. Si l’on ne peut maîtriser consciemment cette
énergie, un certain nombre de techniques, comme les arts martiaux ou la
méditation permettent de favoriser sa circulation et son expression dans l’être
vivant en éliminant les tensions qui l’empêchent de s’écouler. Tensions
musculaires et tensions cérébrales sont autant de barrages au Ki qui, comme
l’eau quand elle ne peut s’écouler, s’accumule dans le corps et peut
occasionner des dégâts important, tels que maladies, accidents, coups et chutes
etc. A l’inverse lorsque cette force circule librement dans l’individu, elle est
présente et se manifeste dans tous ses actes. Les japonais pensent que par
cette énergie, l’homme est relié, ici et maintenant, à tous les êtres vivants
passés, présents et à venir, dans tout l’univers. La partie pour le tout,
l’analogie, le concret, le positif, la synthèse et le changement de dimension
temporelle, tous les attributs du langage de l’hémisphère droit sont bien
présents dans cette façon de voir le monde au travers de la notion de Ki dans
la culture japonaise. Sauf à imaginer que le Japon renie totalement sa culture
traditionnelle au seul profit des valeurs occidentales, ce qui semble très
improbable, il sera très intéressant pour l’avenir d’observer comment ce pays
réussira ou non à développer une culture qui associe, et non pas qui oppose, nos
deux cerveaux.
ليست هناك تعليقات:
إرسال تعليق