كتبهابلال عبد الهادي ، في 4 أيلول 2010 الساعة: 13:30 م
Par Cyrille Javary
Les mots sont
les outils avec lesquels nous pensons et qui modèlent nos circuits neuronaux.
Selon que nous les écrivons avec des lettres alphabétiques ou avec des
idéogrammes, nous n’avons pas le même cerveau.
Chaque langue se bâtit une représentation
du monde à partir des termes qu’elle emploie pour désigner et écrire les objets
du monde qui l’entoure. Nietzsche, qui avait déjà remarqué cette particularité,
l’appelait le « pli langagier de la pensée ». Mais il la plaçait au niveau de la
grammaire, alors qu’elle se situe plus profond, dans l’écriture et la lecture
des mots. Le sinologue Léon Vandermeersch définit mieux ce qui est en jeu
lorsqu’il dit : « La linguistique a montré que notre vision du monde est
entièrement structurée par la langue dans laquelle nous l’interprétons (…) Le
langage est une grille d’organisation du réel qu’il marque de son empreinte » .
C’est une idée qui ne date pas d’hier puisque, dans les années 30, deux
linguistes américains, Edward Sapir et Benjamin Whorf, avaient déjà émis l’idée
que « selon la langue qu’ils parlent, les hommes vivent dans des univers mentaux
différents. La langue ayant une influence déterminante sur la pensée et la
cognition humaine » .
Cependant, à partir des années 60, cette
hypothèse du déterminisme linguistique a été malmenée par les travaux de Piaget
et Chomsky qui, partisans de l’« innéisme », estimaient que « toutes les
cultures suivent des développement équivalents et que tous les humains suivent
le même cycle de développement définis, indépendamment de leur culture, par des
mécanismes neuropsychologiques fondamentaux et universels », donc a priori
indépendamment du langage. Un demi siècle après, on en est un peu revenu. La
linguiste Clarisse Herrenschmidt remet ainsi les pendules à l’heure : « Les
groupes humains qui écrivent dans des systèmes graphiques différents -
idéogrammes, écritures consonantiques des langues sémitiques, alphabet grec -
s’inscrivent différemment dans le monde. »
Prenons un exemple : VIVRE. Voilà un mot
compris par chacun. Cependant, simplement pour le lire, notre cerveau a été
amené à réaliser toute une série d’opérations auxquelles nous sommes tellement
habituées que nous n’en avons plus conscience. Pour lire un mot comme VIVRE,
avant même de percevoir sa signification, nous avons dû faire tout une suite
d’additions littérales : V+I = VI, puis V+R+ E = VRE, et finalement VI+VRE =
vivre. Ces opérations sont menées par notre cerveau gauche, le cerveau
« analytique », apte aux opérations arithmétiques. Leur aboutissement est la
production d’une image sonore mentale que notre cerveau décode alors en
l’associant avec le son qui lui correspond dans notre langue. La lecture d’un
idéogramme chinois suit un processus complètement différent.
Pour lire un idéogramme, le cerveau
gauche est assez inopérant, parce qu’on ne peut pas épeler un idéogramme. Même
s’il est composé de plusieurs éléments ayant individuellement une signification
propre, son sens ne résulte pas de leur addition, mais du saut qualitatif
produit par leur association. Sa lecture met en jeu l’hémisphère droit, la
partie de notre cerveau qui excelle dans la reconnaissance des formes et qui
fonctionne en logique floue, cette aptitude qui nous fait parfois dire « j’ai
déjà vu cette tête-là quelque part ».
Cette primauté du cerveau droit dans la
lecture des idéogrammes explique sans doute l’aptitude de l’esprit chinois à
percevoir la globalité comme une évidence et la causalité linéaire comme un
exotisme. Tout comme ce fonctionnement lui permet de concevoir comme tout à fait
viables ces monstres logiques que sont les oxymores, ces rapprochement de deux
termes opposés (« une obscure clarté ») ou antagonistes (« un pays deux
systèmes »). Inversement, la perception du monde à l’aide de mots formés de
suite de lettres légitime la conviction occidentale que n’importe quel système
peut être décomposé et analysée à partir des éléments basiques qui le
constituent. Tous les mots pouvant être écrits à l’aide d’un ensemble restreint
de signes, il nous semble « naturel » que tout ce qui existe en ce monde puisse
être réduit à la combinatoire de ses éléments constituants. De cet impensé
radical, naîtra l’idée posant l’analyse scientifique comme mode unique
d’appréhension du réel.
Évidence conceptuelle que résume C.
Reeves lorsqu’il dit : « Le principal acquit de la science occidentale est de
nous avoir appris que l’univers entier est structuré comme un langage : les
atomes s’associant en molécules comme les lettres en mots, les molécules en
ensembles organiques comme les mots en phrases, et les ensembles organiques en
formes vivantes de plus en plus complexe comme les phrases en livres. »
Les Chinois voient les chiffres, les
Américains les entendent Il semble pourtant qu’il existe une catégorie de signes
qui ne sont ni des suites de lettres, ni des combinaisons d’idéogrammes : les
chiffres. Certains y verront le signe que « la langue maternelle ne détermine
donc pas entièrement la pensée, car il existe des capacités numériques qui
précèdent le langage. »
Or, un chercheur de Floride, le
professeur M. Y. Tang a comparé l’activité du cerveau de 24 étudiants, la moitié
américains de souche et l’autre d’origine chinoise, lorsqu’ils jonglent avec des
nombres (écrits en chiffres arabes) . L’imagerie cérébrale a montré que, pour
résoudre des calculs arithmétiques simples, Américains et Chinois utilisaient le
cortex inférieur pariétal (partie du cerveau impliquée dans la représentation
quantitative et dans la lecture), mais qu’en parallèle, les deux groupes
activaient des régions différentes pendant les calculs : Les Américains activent
la région du cerveau impliquée dans le traitement des langues ; les Chinois, la
région cérébrale traitant les informations visuelles, les régions pariétales
associées à la perception de l’espace et spécialisées dans la reconnaissance des
formes, celle qui est justement constamment sollicitée pour la lecture des
idéogrammes.
Cette différence, conclut le Pr Tang,
serait due à l’apprentissage non de la langue, mais de son écriture. Chinois et
Américains diffèrent du fait que, durant l’enfance, l’apprentissage d’un codage,
soit graphique littéral, soit idéographique, a modelé le mode de fonctionnement
de leur cerveau de façon différente. Toute fonction cérébrale est développée par
son utilisation. Le cerveau droit étant aussi spécialisé dans le fonctionnement
de la main gauche, l’apprentissage de l’idéographie a produit un effet inattendu
sur l’interprétation de certains morceaux de musique classique par des artistes
chinois. Les « variations Goldberg », de J.-S. Bach, ces chef-d’œuvre de musique
cartésienne, prennent un relief entièrement nouveau quand elles sont
interprétées par Zhu Xiaomei : pour la première fois depuis trois siècles et
demi, on y entend la main gauche.
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