Les langues vivantes évoluent, suivent les évolutions de la société, se nourrissent d'apports d'autres langues et cultures, mais toujours en suivant leur logique propre.
Le chinois ne fait pas exception : les idéogrammes suivent la mode.
VERENA MENZEL, membre de la rédaction
Les langues évoluent, aujourd'hui plus rapidement peut-être que jamais. À l'heure de la globalisation, d'Internet et des réseaux sociaux, les innovations techniques et sociales se reproduisent et envahissent le monde plus rapidement et facilement que jamais. Notre mode de vie, mais aussi notre langage doivent s'adapter et suivre ce rythme effréné. La langue chinoise ne fait pas exception. Au contraire de nos langues européennes qui se basent sur une analyse phonétique des mots au travers de l'alphabet, les mots chinois se composent d'un, ou le plus souvent de deux signes qui se sont formés au cours d'une évolution millénaire, et qui n'ont pas la souplesse plastique de nos termes phonétiques. Depuis la dernière grande réforme de la langue sous Mao Zedong en 1956, ils conservent, dans la partie continentale de la Chine, leur forme simplifiée actuelle. Mais comment donc la langue chinoise réagit-elle aux défis que lui lance l'actualité ? Les idéogrammes fixes qui s'inscrivent dans des carrés virtuels de même taille et servent à communiquer constituent-ils un handicap à l'innovation ? Pas du tout ! La langue chinoise réagit avec autant de flexibilité que les langues européennes, souvent considérées comme les pionnières à l'âge du tout-numérique. En Chine aussi, ces dernières décennies ont vu l'éclosion d'un nombre impressionnant d'expressions et de mots nouveaux qui catapultent la langue idéogrammatique dans le XXIe siècle. Absorber des mots étrangers « Notre vocabulaire doit sans cesse s'adapter à de nouvelles situations et modes de vie. Et cette adaptation se fait principalement par la création de termes nouveaux ou l'adoption, l'emprunt de mots provenant de langues étrangères », explique la linguiste allemande Doris Steffens, qui poursuit à l'Institut de la langue allemande à Mannheim des recherches sur les néologismes et les innovations en allemand. La plus grande partie du vocabulaire absorbé mondialement par les différentes langues locales provenait autrefois de l'anglais, explique la philologue. Mais comment se produit l'évolution linguistique du chinois, une langue dont les modes de fonctionnement, l'écriture, la prononciation et la grammaire sont si fondamentalement différents de ceux des langues européennes apparentées entre elles, comme l'anglais, l'allemand, le français ou l'espagnol ? Les reprises pures et simples de termes anglais comme par exemple smartphone, qui a été adopté tel quel par toutes les langues européennes (en allemand « das Smartphone », en français « le smartphone », en espagnol « el smartphone », etc), sont très rares en chinois. On peut pourtant en trouver quelques exemples : c'est ce qui s'est passé avec les applis (en chinois parlé, on épelle simplement les lettres A-P-P) ou les distributeurs de billets, les ATM (en chinois, ATM机 prononcer « A-T-M jī », soit littéralement « machine ATM »). On les trouve transcrits en toutes lettres latines dans de nombreux textes chinois. Les Chinois ont bien plus souvent recours à des approximations phonétiques du terme anglais en utilisant les syllabes existant en chinois (un idéogramme égale une syllabe). La liste des nouvelles créations de ces dernières années est longue, et on peut citer 三明治 (sānmíngzhì, sandwich) , 咖啡 (kāfēi, café), 比萨 (bǐsà, pizza), 博客 (bókè, blog), 模特 (mótè, modèle), 巧克力 (qiǎokèlì, chocolat), 芝士 (zhīshì, cheese), 沙拉 (shālā, salade), 卡通 (kǎtōng, cartoon), 派对 (pàiduì, party), 酷 (kù, cool), 幽默 (yōumò, humour) ou 拜拜 (bàibai, bye-bye), parmi bien d'autres. Les noms de sociétés ou les marques trouvent également leur équivalent en chinois, comme par exemple 麦当劳 (màidāngláo, McDonalds), 肯德基 (kěndéjī, KFC), 奥迪 (àodí, Audi) ou encore 西门子 (xīménsī, Siemens). L'enseigne du café Starbucks constitue une sorte de compromis à mi-chemin, puisque 星巴克 (xīngbākè) se compose d'une première syllabe 星 (xīng) qui signifie « étoile » tandis que les deux suivantes (巴克 bākè) représentent l'approximation phonétique chinoise de « bucks ». Un autre mécanisme dont se sert le chinois pour adapter les expressions étrangères, c'est la traduction littérale : pour reprendre l'exemple déjà cité du smartphone, celui-ci se dit en chinois 智能手机 (zhìnéng shǒujī, soit « portable intelligent »). Internet se traduit 互联网 (hùliánwǎng, c'est à dire « le filet qui relie les uns aux autres »), un SMS 短信 (duǎnxìn, « courte lettre » ou encore, « nouvelle brève »), logiciel est la transposition littérale de l'anglais software, 软件 (ruǎnjiàn, « chose molle ») et hot dog, 热狗 (règǒu, « chien chaud »). Mais les locuteurs du mandarin ont produit d'autres innovations encore pour parvenir à gérer les nouveautés de la vie et de l'environnement modernes. Le secret de ces nouvelles créations réside dans une combinaison de caractères existants et de leurs sens respectifs pour former le concept nécessaire. C'est ainsi qu'est née la « machine à main » (手机 shǒujī) qui n'est autre qu'un téléphone portable, le « cerveau électrique » (电脑 diànnǎo), c'est à dire l'ordinateur, ou encore la « parole électrique » (电话 diànhuà) qui représente, selon le contexte, le téléphone ou la conversation téléphonique. Internet stimule l'innovation C'est sans doute dans le domaine des médias et de l'informatique que les innovations se bousculent et bouleversent le plus souvent nos habitudes de vie et de communication. Les noms de produit ou de société servent ici très souvent de verbe, un peu comme on a adopté les verbes googler, tweeter ou skyper. En Chine aussi, des termes de ce genre sont devenus tout naturellement des mots de tous les jours. Le Chinois dira ainsi, faisant référence au leader chinois des moteurs de recherche, Baidu.com, « je vais baidu ça » (我百度一下 wǒ bǎidù yīxià) ou alors « QQ-ons-nous » (咱们QQ吧, zánmen QQ ba), un raccourci qui signifie utiliser la messagerie populaire QQ, analogue chinois de Skype. On entend de plus en plus souvent dire « Envoie-moi un weixin ! » (给我微信!Gěi wǒ wēixìn) qui désigne l'application WeChat, très utilisée (en chinois 微信 wēixìn), qui propose l'équivalent des fonctions de WhatsApp et de Facebook regroupées. S'il y a un terrain d'expérimentation linguistique qui apparaît particulièrement créatif dans le monde entier, c'est sans doute Internet. On s'en aperçoit tout particulièrement sur les « chats » et les commentaires d'internautes sur le Web 2.0. La communication est ici confrontée à des contraintes de brièveté et de concision. Un peu comme les internautes qui utilisent des langues européennes alphabétiques, où l'emploi d'abréviations est courant (par exemple LOL ou OMG), les Chinois se servent de codes numériques qui servent d'analogie phonétique à ce qu'ils veulent exprimer. Ainsi le nombre 520 (qui se prononce wǔ èr líng), rappelle l'expression 我爱你 (wǒ ài nǐ) « je t'aime ». Un autre exemple est la combinaison 88 (bābā) pour « bye bye », ou encore 687 (liùbāqī), qui sonne un peu comme 对不起 (duì bù qǐ, ou « excusez-moi », « désolé »). Certains termes ont adopté un sens nouveau qui a déclenché une véritable avalanche d'expressions et de concepts inédits en chinois, les propulsant au rang d'outils d'innovation linguistique. Un exemple de ce phénomène est l'adjectif 微 (wēi). Ce terme signifie « très petit » ou « microscopique », et il a d'abord été employé pour traduire le concept de « micro-blog » (微博 wēibó). Ce terme une fois installé, il a inspiré toute une série de concepts relatifs aux développements d'Internet, par combinaison de la syllabe 微 (wei) et d'un ou deux mots complémentaires. On a ainsi vu apparaître des « micro-news » (微新闻 wēixīnwén) et des « micro-histoires » (微小说 wēixiǎoshuō), puis des « micro-films » c'est à dire des courts-métrages (微电影 wēidiànyǐng), jusqu'au nom de la nouvelle application de messagerie WeChat (en chinois, 微信 wēixìn, littéralement « micromessage »). Dans l'encyclopédie chinoise en ligne Baidu Baike on trouve en outre des concepts tels que la « micro-culture » (微文化 wēiwénhuà) ou la « micro-vie » qui est la « vie en blog » (微生活 wēishēnghuó), constitutifs finalement d'un « âge du micro » (微时代 wēishídài). Le verbe 拼 (pīn) qui compose 拼合 (pīnhé) « assembler, compiler » ou 拼凑 (pīncòu) « construire, juxtaposer, emboîter » représente un autre exemple intéressant. À l'heure des applis et des plates-formes de réseaux sociaux, ce caractère a lui aussi trouvé une nouvelle vie dans toute une série de mots récemment créés, comme par exemple 拼车 (pīnchē, covoiturage), 拼房 (pīnfáng, colocation), 拼书 (pīnshū, partage de livres) ou encore 拼桌 (pīnzhuō, tablée commune). Innover dans la tradition Même ce que l'on croirait être les derniers bastions de la tradition linguistique, les proverbes et expressions fixes appelées chengyu, voire même les caractères chinois eux-mêmes, sont secoués par le vent frais de la modernité. Les chengyu sont des expressions classiques composées de quatre caractères, et donc autant de syllabes, qui résument au plus court des sagesses séculaires ou des anecdotes issues de la culture chinoise classique. Ces derniers temps, les internautes chinois se sont mis à inventer de nouvelles formes créatives pour ces expressions à quatre mots. Prenons par exemple l'expression 不明觉厉 (bùmíngjuélì) qui exprime en quatre signes le sens de la maxime 虽然不明白, 但是觉得很厉害 (suīrán bù míngbai, dànshì juéde hěn lìhai), qui peut se traduire par « sans rien y comprendre (à ce qui est fait ou dit), je trouve cela drôlement fort ». Selon le contexte, on peut comprendre ce chengyu d'internaute de deux façons différentes : soit il s'agit d'exprimer l'admiration respectueuse que l'on éprouve vis à vis des déclarations ou des actions d'un vrai expert en action (« Je ne comprends pas tout ce que tu fais mais j'admire ta maîtrise »). Mais il peut aussi s'agir de se moquer des déclarations ou des actions d'un expert autoproclamé (« Je ne sais pas ce que tu fais ni quel but tu poursuis, mais au moins tu l'exprimes de façon imagée »). Cette formule, dans la tradition des chengyu, définit précisément et avec concision une situation précise ou un sentiment particulier. On voit même que les caractères chinois n'échappent pas à l'esprit d'innovation créative des mandarinophones. L'un des exemples les plus récents concerne l'onomatopée « duang », qui restitue à l'oral le son d'un ressort qui se détend. Après le succès viral d'une vieille publicité pour un shampoing dans laquelle on voit Jackie Chan, légende du kung-fu, répéter plusieurs fois ce terme, des internautes chinois se sont décidés à combler une lacune de la langue de Confucius en créant un caractère duang. Pour cela, ils ont compilé en un seul les caractères 成 et 龙 qui composent le nom chinois de l'acteur ! Même une langue des signes telle que le chinois peut donc, grâce à la créativité de ses locuteurs, poursuivre une évolution vers la modernité, et il est passionnant de voir comment les influences externes sont perçues et intégrées. Avec l'accroissement du poids économique de la Chine, il est probable que ce seront désormais de plus en plus souvent des expressions et des concepts chinois qui viendront enrichir les vocabulaires occidentaux. Il existe déjà des exemples de ce phénomène. Après les termes déjà établis depuis des années comme le feng-shui (风水 fēngshuǐ), le qigong (气功 qìgōng) ou le taï-chi (太极拳 tàijíquán), on entend maintenant parler de guanxi (关系 guānxi) pour décrire les relations sociales qui sont si importantes en Chine, un terme qui a fait son apparition dans les langues occidentales. L'exemple le plus récent est l'adjectif chinois mafan (麻烦 máfan) qui vient d'être adopté par le dictionnaire britannique en ligne Urban Dictionary. « ''Mafan'' est un terme originaire du chinois mandarin qui exprime le sentiment de frustration ou d'agacement créé par une situation, avec à peu près le même sens que les mots ''compliqué'' ou ''embêtant'' », y est-il expliqué. Parmi ceux qui apprennent le chinois, un certain nombre a dû se réjouir de cette nouvelle entrée au dictionnaire, parce que traduire cet adjectif chinois dans toute la richesse de ses nuances est effectivement assez « mafan ».
Le chinois ne fait pas exception : les idéogrammes suivent la mode.
VERENA MENZEL, membre de la rédaction
Les langues évoluent, aujourd'hui plus rapidement peut-être que jamais. À l'heure de la globalisation, d'Internet et des réseaux sociaux, les innovations techniques et sociales se reproduisent et envahissent le monde plus rapidement et facilement que jamais. Notre mode de vie, mais aussi notre langage doivent s'adapter et suivre ce rythme effréné. La langue chinoise ne fait pas exception. Au contraire de nos langues européennes qui se basent sur une analyse phonétique des mots au travers de l'alphabet, les mots chinois se composent d'un, ou le plus souvent de deux signes qui se sont formés au cours d'une évolution millénaire, et qui n'ont pas la souplesse plastique de nos termes phonétiques. Depuis la dernière grande réforme de la langue sous Mao Zedong en 1956, ils conservent, dans la partie continentale de la Chine, leur forme simplifiée actuelle. Mais comment donc la langue chinoise réagit-elle aux défis que lui lance l'actualité ? Les idéogrammes fixes qui s'inscrivent dans des carrés virtuels de même taille et servent à communiquer constituent-ils un handicap à l'innovation ? Pas du tout ! La langue chinoise réagit avec autant de flexibilité que les langues européennes, souvent considérées comme les pionnières à l'âge du tout-numérique. En Chine aussi, ces dernières décennies ont vu l'éclosion d'un nombre impressionnant d'expressions et de mots nouveaux qui catapultent la langue idéogrammatique dans le XXIe siècle. Absorber des mots étrangers « Notre vocabulaire doit sans cesse s'adapter à de nouvelles situations et modes de vie. Et cette adaptation se fait principalement par la création de termes nouveaux ou l'adoption, l'emprunt de mots provenant de langues étrangères », explique la linguiste allemande Doris Steffens, qui poursuit à l'Institut de la langue allemande à Mannheim des recherches sur les néologismes et les innovations en allemand. La plus grande partie du vocabulaire absorbé mondialement par les différentes langues locales provenait autrefois de l'anglais, explique la philologue. Mais comment se produit l'évolution linguistique du chinois, une langue dont les modes de fonctionnement, l'écriture, la prononciation et la grammaire sont si fondamentalement différents de ceux des langues européennes apparentées entre elles, comme l'anglais, l'allemand, le français ou l'espagnol ? Les reprises pures et simples de termes anglais comme par exemple smartphone, qui a été adopté tel quel par toutes les langues européennes (en allemand « das Smartphone », en français « le smartphone », en espagnol « el smartphone », etc), sont très rares en chinois. On peut pourtant en trouver quelques exemples : c'est ce qui s'est passé avec les applis (en chinois parlé, on épelle simplement les lettres A-P-P) ou les distributeurs de billets, les ATM (en chinois, ATM机 prononcer « A-T-M jī », soit littéralement « machine ATM »). On les trouve transcrits en toutes lettres latines dans de nombreux textes chinois. Les Chinois ont bien plus souvent recours à des approximations phonétiques du terme anglais en utilisant les syllabes existant en chinois (un idéogramme égale une syllabe). La liste des nouvelles créations de ces dernières années est longue, et on peut citer 三明治 (sānmíngzhì, sandwich) , 咖啡 (kāfēi, café), 比萨 (bǐsà, pizza), 博客 (bókè, blog), 模特 (mótè, modèle), 巧克力 (qiǎokèlì, chocolat), 芝士 (zhīshì, cheese), 沙拉 (shālā, salade), 卡通 (kǎtōng, cartoon), 派对 (pàiduì, party), 酷 (kù, cool), 幽默 (yōumò, humour) ou 拜拜 (bàibai, bye-bye), parmi bien d'autres. Les noms de sociétés ou les marques trouvent également leur équivalent en chinois, comme par exemple 麦当劳 (màidāngláo, McDonalds), 肯德基 (kěndéjī, KFC), 奥迪 (àodí, Audi) ou encore 西门子 (xīménsī, Siemens). L'enseigne du café Starbucks constitue une sorte de compromis à mi-chemin, puisque 星巴克 (xīngbākè) se compose d'une première syllabe 星 (xīng) qui signifie « étoile » tandis que les deux suivantes (巴克 bākè) représentent l'approximation phonétique chinoise de « bucks ». Un autre mécanisme dont se sert le chinois pour adapter les expressions étrangères, c'est la traduction littérale : pour reprendre l'exemple déjà cité du smartphone, celui-ci se dit en chinois 智能手机 (zhìnéng shǒujī, soit « portable intelligent »). Internet se traduit 互联网 (hùliánwǎng, c'est à dire « le filet qui relie les uns aux autres »), un SMS 短信 (duǎnxìn, « courte lettre » ou encore, « nouvelle brève »), logiciel est la transposition littérale de l'anglais software, 软件 (ruǎnjiàn, « chose molle ») et hot dog, 热狗 (règǒu, « chien chaud »). Mais les locuteurs du mandarin ont produit d'autres innovations encore pour parvenir à gérer les nouveautés de la vie et de l'environnement modernes. Le secret de ces nouvelles créations réside dans une combinaison de caractères existants et de leurs sens respectifs pour former le concept nécessaire. C'est ainsi qu'est née la « machine à main » (手机 shǒujī) qui n'est autre qu'un téléphone portable, le « cerveau électrique » (电脑 diànnǎo), c'est à dire l'ordinateur, ou encore la « parole électrique » (电话 diànhuà) qui représente, selon le contexte, le téléphone ou la conversation téléphonique. Internet stimule l'innovation C'est sans doute dans le domaine des médias et de l'informatique que les innovations se bousculent et bouleversent le plus souvent nos habitudes de vie et de communication. Les noms de produit ou de société servent ici très souvent de verbe, un peu comme on a adopté les verbes googler, tweeter ou skyper. En Chine aussi, des termes de ce genre sont devenus tout naturellement des mots de tous les jours. Le Chinois dira ainsi, faisant référence au leader chinois des moteurs de recherche, Baidu.com, « je vais baidu ça » (我百度一下 wǒ bǎidù yīxià) ou alors « QQ-ons-nous » (咱们QQ吧, zánmen QQ ba), un raccourci qui signifie utiliser la messagerie populaire QQ, analogue chinois de Skype. On entend de plus en plus souvent dire « Envoie-moi un weixin ! » (给我微信!Gěi wǒ wēixìn) qui désigne l'application WeChat, très utilisée (en chinois 微信 wēixìn), qui propose l'équivalent des fonctions de WhatsApp et de Facebook regroupées. S'il y a un terrain d'expérimentation linguistique qui apparaît particulièrement créatif dans le monde entier, c'est sans doute Internet. On s'en aperçoit tout particulièrement sur les « chats » et les commentaires d'internautes sur le Web 2.0. La communication est ici confrontée à des contraintes de brièveté et de concision. Un peu comme les internautes qui utilisent des langues européennes alphabétiques, où l'emploi d'abréviations est courant (par exemple LOL ou OMG), les Chinois se servent de codes numériques qui servent d'analogie phonétique à ce qu'ils veulent exprimer. Ainsi le nombre 520 (qui se prononce wǔ èr líng), rappelle l'expression 我爱你 (wǒ ài nǐ) « je t'aime ». Un autre exemple est la combinaison 88 (bābā) pour « bye bye », ou encore 687 (liùbāqī), qui sonne un peu comme 对不起 (duì bù qǐ, ou « excusez-moi », « désolé »). Certains termes ont adopté un sens nouveau qui a déclenché une véritable avalanche d'expressions et de concepts inédits en chinois, les propulsant au rang d'outils d'innovation linguistique. Un exemple de ce phénomène est l'adjectif 微 (wēi). Ce terme signifie « très petit » ou « microscopique », et il a d'abord été employé pour traduire le concept de « micro-blog » (微博 wēibó). Ce terme une fois installé, il a inspiré toute une série de concepts relatifs aux développements d'Internet, par combinaison de la syllabe 微 (wei) et d'un ou deux mots complémentaires. On a ainsi vu apparaître des « micro-news » (微新闻 wēixīnwén) et des « micro-histoires » (微小说 wēixiǎoshuō), puis des « micro-films » c'est à dire des courts-métrages (微电影 wēidiànyǐng), jusqu'au nom de la nouvelle application de messagerie WeChat (en chinois, 微信 wēixìn, littéralement « micromessage »). Dans l'encyclopédie chinoise en ligne Baidu Baike on trouve en outre des concepts tels que la « micro-culture » (微文化 wēiwénhuà) ou la « micro-vie » qui est la « vie en blog » (微生活 wēishēnghuó), constitutifs finalement d'un « âge du micro » (微时代 wēishídài). Le verbe 拼 (pīn) qui compose 拼合 (pīnhé) « assembler, compiler » ou 拼凑 (pīncòu) « construire, juxtaposer, emboîter » représente un autre exemple intéressant. À l'heure des applis et des plates-formes de réseaux sociaux, ce caractère a lui aussi trouvé une nouvelle vie dans toute une série de mots récemment créés, comme par exemple 拼车 (pīnchē, covoiturage), 拼房 (pīnfáng, colocation), 拼书 (pīnshū, partage de livres) ou encore 拼桌 (pīnzhuō, tablée commune). Innover dans la tradition Même ce que l'on croirait être les derniers bastions de la tradition linguistique, les proverbes et expressions fixes appelées chengyu, voire même les caractères chinois eux-mêmes, sont secoués par le vent frais de la modernité. Les chengyu sont des expressions classiques composées de quatre caractères, et donc autant de syllabes, qui résument au plus court des sagesses séculaires ou des anecdotes issues de la culture chinoise classique. Ces derniers temps, les internautes chinois se sont mis à inventer de nouvelles formes créatives pour ces expressions à quatre mots. Prenons par exemple l'expression 不明觉厉 (bùmíngjuélì) qui exprime en quatre signes le sens de la maxime 虽然不明白, 但是觉得很厉害 (suīrán bù míngbai, dànshì juéde hěn lìhai), qui peut se traduire par « sans rien y comprendre (à ce qui est fait ou dit), je trouve cela drôlement fort ». Selon le contexte, on peut comprendre ce chengyu d'internaute de deux façons différentes : soit il s'agit d'exprimer l'admiration respectueuse que l'on éprouve vis à vis des déclarations ou des actions d'un vrai expert en action (« Je ne comprends pas tout ce que tu fais mais j'admire ta maîtrise »). Mais il peut aussi s'agir de se moquer des déclarations ou des actions d'un expert autoproclamé (« Je ne sais pas ce que tu fais ni quel but tu poursuis, mais au moins tu l'exprimes de façon imagée »). Cette formule, dans la tradition des chengyu, définit précisément et avec concision une situation précise ou un sentiment particulier. On voit même que les caractères chinois n'échappent pas à l'esprit d'innovation créative des mandarinophones. L'un des exemples les plus récents concerne l'onomatopée « duang », qui restitue à l'oral le son d'un ressort qui se détend. Après le succès viral d'une vieille publicité pour un shampoing dans laquelle on voit Jackie Chan, légende du kung-fu, répéter plusieurs fois ce terme, des internautes chinois se sont décidés à combler une lacune de la langue de Confucius en créant un caractère duang. Pour cela, ils ont compilé en un seul les caractères 成 et 龙 qui composent le nom chinois de l'acteur ! Même une langue des signes telle que le chinois peut donc, grâce à la créativité de ses locuteurs, poursuivre une évolution vers la modernité, et il est passionnant de voir comment les influences externes sont perçues et intégrées. Avec l'accroissement du poids économique de la Chine, il est probable que ce seront désormais de plus en plus souvent des expressions et des concepts chinois qui viendront enrichir les vocabulaires occidentaux. Il existe déjà des exemples de ce phénomène. Après les termes déjà établis depuis des années comme le feng-shui (风水 fēngshuǐ), le qigong (气功 qìgōng) ou le taï-chi (太极拳 tàijíquán), on entend maintenant parler de guanxi (关系 guānxi) pour décrire les relations sociales qui sont si importantes en Chine, un terme qui a fait son apparition dans les langues occidentales. L'exemple le plus récent est l'adjectif chinois mafan (麻烦 máfan) qui vient d'être adopté par le dictionnaire britannique en ligne Urban Dictionary. « ''Mafan'' est un terme originaire du chinois mandarin qui exprime le sentiment de frustration ou d'agacement créé par une situation, avec à peu près le même sens que les mots ''compliqué'' ou ''embêtant'' », y est-il expliqué. Parmi ceux qui apprennent le chinois, un certain nombre a dû se réjouir de cette nouvelle entrée au dictionnaire, parce que traduire cet adjectif chinois dans toute la richesse de ses nuances est effectivement assez « mafan ».
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