الأحد، 24 فبراير 2013

بول بلطة وثقافة الطعام

Origines
Né en Alexandrie, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans au milieu du peuple égyptien et de la société cosmopolite de cette ville qui ont été pour moi une école d’humanisme. Mon arrière-grand père maternel était un Libanais, grec-catholique, qui s’appelait Haddad (le Forgeron). Au milieu du XIXè siècle il a émigré en Égypte où il a épousé une copte-orthodoxe, Hanem Boctor. Mon grand-père paternel, Yanni Kyriakidès, était un Chypriote, grec-orthodoxe. Son frère, Constantin, ayant mis au point un système d’irrigation original, le pacha, gouverneur de l’île, lui avait remis une décoration en disant : “Tu es grand et fort comme le bûcheron qui porte la balta (hache, en turc). Tu as l’intelligence acérée comme le fil de la balta ”. Le surnom est resté. Grand-père a émigré à Paris sous le nom de Jean Balta et a épousé ma grand-mère, Marie Maillard, une Lorraine, de rite latin, comme on dit en Orient pour désigner les catholiques romains. Constantin, qui s’était installé en Égypte, à Mansourah, est mort sans descendance directe, laissant en héritage une ezba, propriété agricole, et un journal économique Le Delta. Mes grands parents en ont pris possession et ont eu trois enfants. Adulte, mon père a opté pour la nationalité française, mon oncle pour la grecque après s’être marié à une hellène de Smyrne, et ma tante a épousé le descendant de nobles familles maltaises, les Testaferrata et les de Saïn. (…) Dès l’enfance, j’ai donc été initié à la cuisine égyptienne, syro-libanaise, grecque, turque, française, italienne. (…)

Initiations
Liban, Syrie, Jordanie, Palestine. Je découvrais, émerveillé, les villes et les paysages, l’odeur des vignobles et des forêts de cèdres, les habitudes culinaires des campagnes où l’on mangeait assis par terre, avec la main droite (j’étais persuadé que c’était la particularité du fellah, paysan égyptien), la diversité des restaurants, chics et populaires, et leurs spécialités. J’étais impressionné par le luxe, parfois ostentatoire, des grandes familles bourgeoises amies ou apparentées et par le sens de l’hospitalité, qu’on trouve dans tout l’Orient, des plus riches aux plus simples qui, au risque de devoir se priver ensuite, n’hésiteront pas à emprunter de l’argent pour bien vous recevoir. (…)
Mon initiation ne s’est pas limitée au goût, mais s’est étendue aussi à la pratique. J’aimais regarder ma mère diriger la préparation des repas de fêtes et des pâtisseries. Quand j’ai eu sept ans, “l’âge de raison” disait-on, j’ai fait ma première communion. A cette occasion, ma mère m’a mis à la tâche en m’incitant à éplucher certains légumes comme la molokheya, la corète, et à décorer avec minutie les gâteaux, kahqs et maamouls, à l’aide d’une petite pince aux extrémités échancrées. Ainsi voulait-elle que je prenne conscience du travail, du temps et de la patience que cela nécessitait afin de m’apprendre à respecter les serviteurs. Elle veillait à ce que je ne gaspille pas la nourriture. Elle m’interdisait de poser le pain à l’envers et plus encore de le jeter: c’est un don de Dieu, qu’il faut respecter car c’est la vie, aych, comme disent les Égyptiens. Les mères juives et musulmanes étaient aussi strictes.
Dans mon Alexandrie, coexistaient les Égyptiens et les cosmopolites de toutes origines et nationalités d’Europe et d’Orient: les juifs, majoritairement Orientaux et Sépharades et une minorité d’Ashkénazes venus des Balkans, les chrétiens de toutes obédiences, les musulmans des différents rites sunnites et chiites. J’ai mis du temps à me rendre compte qu’il y avait des agnostiques et des athées, issus des trois confessions. Chacun, évidemment, estimait que sa communauté était la meilleure. Sans doute certaines familles aisées traitaient-elles les pauvres avec condescendance, mais dans l’ensemble on nous apprenait à avoir du respect et de la curiosité pour l’Autre. Il y a là des enseignements qui vous marquent pour la vie.

L’autre culinaire
Nous nous invitions mutuellement pour jouer ensemble. C’est ainsi que chez mon camarade Isaac, j’ai appris l’alphabet hébreu en mangeant les gâteaux en forme de lettres que préparait sa maman pour le goûter. Invitations aussi à l’occasion des fêtes qui étaient ainsi une initiation à des spécialités nouvelles et aux rituels religieux et alimentaires des autres. J’aimais monter chez nos voisins musulmans, pour la rupture du jeûne, pendant le mois de ramadan ; parfois, après le repas, Aïcha, dix-huit ans, nous rassemblait autour d’elle, ses soeurs et moi, pour nous raconter la vie de Mahomet ou expliquer des versets du Coran. Nourritures terrestres et nourritures spirituelles me paraissaient inséparables et tout naturellement je m’imprégnais des différentes cultures. (…)
Les hasards de la vie ont été des invitations au voyage. A l’occasion d’un camp scout, j’ai découvert Chypre avec autant d’émotion que le Liban. En 1947, je suis allé à Paris, au lycée Louis le Grand pour préparer le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure. Aux grandes vacances, je retournais voir mes parents ; à l’aller et au retour, selon les compagnies maritimes, le bateau faisait des escales différentes : Larnaca, Athènes, Rhodes, Venise, Gênes, Naples… J’ai constaté, stupéfait, que mes camarades de khâgne ne connaissaient pratiquement rien du monde arabe ancien et contemporain alors qu’ils étaient imbattables sur l’Antiquité grecque et romaine. Question : si les meilleurs élèves de France ignorent à ce point la civilisation arabo-islamique, que doit-il en être de l’homme de la rue? C’est alors que j’ai décidé que je serai, une fois mes études terminées, un passeur entre les deux rives, en devenant journaliste et écrivain.

Paul Balta
MER DES MIRACLES
Essentiellement périssable, précaire, évanescente parce que quotidienne, la cuisine est, paradoxalement, l’art qui perdure par excellence. Dans cette Méditerranée, berceau des trois religions monothéistes révélées, le boire et le manger sont présents dans les livres sacrés -Ancien Testament, Évangiles, Coran- comme dans les ouvrages profanes*. Inséparables de la musique et de la danse, ils inspirent la plupart des autres arts. Expression d’une culture enracinée dans l’histoire, la gastronomie est fille de la civilisation. Les habitudes alimentaires -reflet de l’environnement et de la religion- sont si profondément ancrées chez les peuples que ceux-ci répugnent à en adopter de nouvelles. Étrangement, plus qu’ailleurs, la Méditerranée confirme et dément, tout à la fois, cette réalité qui remonte à la nuit des temps.
Mer des miracles et des migrations, de toutes les migrations… des hommes, des plantes, des plats, des mots, des parfums, des modes. Ces modes qui expriment si merveilleusement les hasards de la vie, les humeurs d’une société, le goût du plaisir. Fruits et fleurs venus de mondes lointains se sont acclimatés si parfaitement sur ses rives qu’ils y poussent, croit-on, de toute éternité ou presque, à l’instar du figuier, de l’olivier et de la vigne! Nous l’éprouvons chaque jour sans nous en rendre compte, en effectuant un fabuleux voyage dans l’espace et dans le temps, que nous avalions le matin un jus de pamplemousse, que nous dégustions un melon à midi ou que nous prenions, le soir, un “café blanc”, comme disent si joliment les Libanais pour désigner l’infusion de fleurs d’oranger.
Mais qui songe aujourd’hui, en longeant la Costa del azahar et la huerta, “très grand verger”, de Valence ou de Murcie qu’oranges amères, naring, melons et pastèques n’y ont fait leur apparition qu’avec l’arrivée des Arabes au VIIè siècle? Ces Arabes nomades, convertis à l’islam, qui, après avoir découvert les Jardins suspendus de Babylone, une des Sept merveilles du monde, se sont progressivement sédentarisés et ont contribué à modifier le paysage des soeurs latines en y introduisant la culture en terrasse et des systèmes d’irrigation et de répartition de l’eau dont plusieurs sont toujours en usage. Ainsi, en Espagne la Hermendad del agua, la Confrérie des eaux, et ses composantes régionales sont calquées sur celles des Arabo-Berbères de la période del Andalus, la mythique Andalousie où, des siècles durant, ont coexisté et créé ensemble juifs, chrétiens et musulmans. Rappelons que c’est au Portugal que les Arabes ont greffé l’orange amère, naranj ou naring, en arabe (d’où naranja en espagnol, auranja en provençal) pour en tirer la douce qu’ils ont appelée bortucal, terme toujours en usage.
À l’origine, comme le note Fernand Braudel, îles et rives de la Méditerranée étaient très pauvres. Nombre de plantes originaires de Chine ont été acclimatées dans divers pays d’Asie centrale, comme l’amandier en Afghanistan, le pêcher en Perse, l’abricotier en Arménie, avant de parvenir autour du bassin. Par ailleurs, le blé nous vient du Kurdistan, le gombo de l’Inde, le café d’Éthiopie, sans parler des épices aux multiples origines… D’autres apports, relativement récents, ne sont pas moins amples. En effet, si 1492 est l’année de la chute de Grenade et du reflux arabo-berbère d’Europe, c’est aussi celle où Christophe Colomb, partant à la recherche… de l’Inde et de ses épices, découvre l’Amérique ! D’où nous viennent, entre autres, les figuiers de barbarie, si bien intégrés dans le paysage méditerranéen, les haricots rouges, le manioc, la pomme de terre dont Antoine Augustin Parmentier (1737-1813), pharmacien militaire, a vulgarisé la culture en France, les tomates qui n’ont vraiment prospéré qu’après leur adoption par l’Italie, les courges et les piments respectivement transformés par les Méditerranéens en courgettes et en poivrons, des fruits comme les anones et l’ananas, le cacao dont on a fait une boisson et le chocolat… Quant à l’eucalyptus qui paraît, lui aussi, si familier, il n’a été importé d’Australie qu’en 1869. Néanmoins, comme dans d’autres domaines -mais nous avons tendance à l’oublier- c’est notre héritage oriental qui est le plus considérable, comme on le verra.
Mer de la diversité aussi car aucune autre région du monde n’a vu, dans un espace aussi limité, se succéder autant de civilisations. Celles des Égyptiens, des Minoens ou Crétois, des Hébreux, des Phéniciens, des Grecs, des Romains, des Gaulois, des Ibères, des Berbères, des Byzantins, des Arabes, des Turcs… On parle toujours des deux rives, le plus souvent pour les opposer. À mes yeux, il y en a six avec leurs caractéristiques respectives, leurs traditions culturelles, leurs habitudes alimentaires mais aussi leurs complémentarités. La rive Est, euro-asiatique, l’ancienne Asie mineure grecque devenue turque, la rive Est asiatique, berceau des Hébreux et des Phéniciens, à dominante arabo-musulmane avec des minorités chrétiennes, juives et Israël, puis la rive Sud-Est africaine qui est celle de l’Égypte, le plus vieil État-Nation, pivot du monde arabe à la charnière du Machrek et du Maghreb, la rive Sud-Ouest, de la Libye au Maroc, à dominante berbère, islamisée et arabisée, la rive Nord-Ouest ou Arc latin majoritairement catholique, la rive Nord-Est, celle des Balkans méditerranéens et de la Grèce où prévaut l’orthodoxie avec des composantes catholiques et musulmanes.
La Méditerranée est enfin la mer des paradoxes. Zone de rupture et de confrontations, elle n’a jamais cessé d’être, depuis quelque dix mille ans, un carrefour d’échanges où commerce et culture se sont toujours conjugués. C’est sans doute pourquoi, malgré leur frugalité légendaire, imposée à l’origine par la nature, les riverains ont fait de mare nostrum un des berceaux de la gastronomie et de l’art de vivre. Le miracle de cette mer ne consiste pas seulement à assimiler ce qui lui vient d’ailleurs, mais aussi à le transfigurer et à donner à ce qu’elle adopte, qu’elle adapte ou qu’elle crée, la dimension du mythe!

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