الأربعاء، 1 مايو 2013

Je parle toutes les langues, mais en arabe/ Kenza Sefrioui


La langue première, maternelle, est le fil conducteur de Je parle toutes les langues, mais en arabe, titre inspiré du Journal de Kafka, qui évoquait en ces termes sa relation au yiddish. C’est la seule langue en effet qu’on reçoit « en une fois » et qui ne présente jamais « une zone mystérieuse », contrairement à celles apprises plus tard, qui nous obligent à être constamment sur nos gardes. Sécurisante, elle est aussi omniprésente : c’est la langue dont « on ne se libère pas », qui ressurgit quand on en parle d’autres, sous la forme d’un accent, d’une construction, voire d’un regard car, « oui, la langue a un visage ». Mieux, ce qui est à l’oral un facteur de malaise est totalement revendiqué à l’écrit : l’écrivain maghrébin d’expression française revendique sa culture arabe ou berbère et « il serait d’ailleurs inadmissible, pour ceux qui le lisent, qu’il en soit autrement, que la référence natale soit abolie ». Il ne s’agit pas pour autant de s’enfermer dans cette langue originelle : parler de littérature suppose nécessairement de connaître d’autres langues, d’autres univers littéraires – ou du moins « en supposer l’existence ». « Comment peut-on être monolingue ? », titre de la première partie du recueil, est un plaidoyer pour la traduction, qui a été à l’origine des deux renaissances arabes, au IXe siècle comme lors de la Nahda. C’est elle qui a permis le renouvellement des genres littéraires, l’assouplissement de la langue d’écriture, bref, l’entrée dans « la Weltliteratur, la littérature mondiale, nécessairement plurielle » – au point qu’aujourd’hui, un auteur arabe n’est pleinement publié que lorsqu’il est traduit. Regrettant que l’histoire de la traduction soit séparée de celle de la littérature arabe, l’auteur fait l’éloge des dons et contre-dons entre les littératures, où la dette est positive : « une littérature qui ne contracte pas ou plus de dette est promise à la mort ».

 

Jusqu’où partager cette langue ?

 

Pourtant, la réflexion de Kilito est empreinte d’une certaine inquiétude sur la perte de soi et l’acculturation. « On ne change pas impunément d’espace : on risque d’oublier sa langue ; autrement dit, on risque de devenir autre », commente l’auteur en citant l’Epître du pardon de Ma‘arrî, où il est dit qu’Adam chassé du paradis oublia l’arabe, sa langue première. Il reprend l’hypothèse formulée dans Tu ne parleras pas ma langue (traduit de l’arabe chez Actes Sud / Sindbad en 2008) : « Nous n’aimons pas vraiment qu’un étranger parle notre langue : nous n’aimons pas qu’il la parle mal, et nous n’aimons surtout pas qu’il la parle parfaitement bien ». En cause, la peur de la dépossession, l’angoisse générée par le partage de cette langue, qui brouille les frontières entre soi et l’autre. Citant la mésaventure racontée, dans Stupeur et tremblement, par Amélie Nothomb sommée d’oublier sa maîtrise du japonais, Kilito fait part des résistances au partage des mots et des idées, comme s’il fallait préserver jalousement cette relation exclusive avec la langue maternelle. L’argument aurait mieux été étayé par une prise en compte des relations de pouvoir dans lesquelles les langues sont imbriquées que par ce constat assez sentimental. Mais la question se pose au sein même d’un Maroc superficiellement bilingue, puisque, entre francophones et arabophones, c’est « à chacun sa littérature ». Kilito regrette un « acquiescement à la rupture entre deux mondes […] qui empêche une reconnaissance mutuelle » : « Aussi l’impression qui prévaut est-elle moins de vivre une situation de bilinguisme qu’une situation où coexistent deux monolinguismes ». En cause, le fait que la littérature était enseignée, à son époque, « hors de notre monde », via des textes français ou orientaux, mais jamais d’auteurs marocains, et l’idée répandue alors que « notre langue natale était abâtardie, dégénérée, indigne de la littérature, de l’écriture ». La reconnaissance de cette langue mère, l’arabe dialectal marocain, permettrait pourtant de donner ce plaisant sentiment d’intimité. Kilito se dit tenté de penser que l’arabe dialectal marocain, « en tant que porteur d’une histoire et d’une géographie, permettrait de reconnaître une œuvre marocaine, en arabe ou en français, ancienne ou moderne ». C’est ce qui permettrait d’envisager de manière globale la littérature marocaine, écrite en arabe et en français, d’en écrire l’histoire, alors que jusque là, « la seule possibilité de les réunir semble être l’inventaire, le catalogue, le dictionnaire », comme celui de Salim Jay (Eddif / Paris Méditerranée, 2005). Kilito ne va pas jusqu’à plaider pour l’écriture littéraire en darija, mais il élargit subtilement le débat. Rendant hommage à Ahmed Sefrioui, dont il salue l’art de faire passer en français des expressions marocaines que le lecteur bilingue, lui, retraduit vers l’arabe, il écrit : « La question : en quelle langue écrivez-vous ? ne prend de sens que si elle est complétée par cette autre, allègrement négligée : en quelle langue lisez-vous 

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