الاثنين، 15 أغسطس 2016

La « guerre du houmous »// Akram Belkaïd

« Manière de voir » #142 • août - septembre 2015

Pas moins de huit pays se disputent la paternité du houmous, dont la naissance remonte à l’époque ottomane. Pour Israël, l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de s’ancrer au Proche-Orient. Mais les desseins de Tel-Aviv se heurtent à la résistance des Libanais, qui ont fait de ce plat un élément majeur de leur patrimoine national.
par Akram Belkaïd  
Le Monde diplomatiqueLa « guerre du houmous »↑

Automne 1995. La scène se déroule dans un petit restaurant sur la corniche d’Alexandrie. Autour de la table, une vingtaine de journalistes méditerranéens — dont deux israéliens — devisent de manière cordiale à propos de l’avenir des accords d’Oslo et du processus de paix au Proche-Orient. Dix minutes plus tard, le ton monte et l’on ne s’entend plus. C’est que l’un des convives, un Grec, vient de changer de sujet de conversation en affirmant, chose peu connue, que son pays serait le véritable inventeur du houmous, cette préparation culinaire faite de purée de pois chiches et de sésame. Du coup, tout le monde veut intervenir, à commencer par les Libanais et les Israéliens, qui finissent par s’invectiver. De leur côté, un journaliste turc et son confrère chypriote (turc) quittent la salle, le visage fermé, tandis qu’un Palestinien répète à l’envi que les « meilleures houmoussiyas [restaurants servant uniquement du houmous] se trouvent en Palestine et notamment à Jérusalem-Est ». Présent à ce rassemblement organisé par l’Union européenne pour célébrer le lancement du partenariat euroméditerranéen, un reporter suédois conclut, un brin stupéfait, qu’il est « plus aisé de parler du conflit israélo-palestinien que des origines d’un plat banal ».

Banal ? Pas si sûr… De manière régulière, la chronique médiatique se fait l’écho de ce que l’on appelle la « guerre du houmous (1) ». Un conflit, certes sans armes à feu ni artillerie lourde, mais où les passions frisent parfois l’irrationnel. Au moins huit pays revendiquent ainsi la paternité de ce mets. Les plus acharnés sont la Palestine, le Liban et Israël. Mais la Grèce, la Turquie, la Jordanie, la Syrie et, à un degré moindre, l’Egypte ne sont pas en reste.

Colloques, livres et campagnes de presse à l’appui, tous affirment être le berceau d’une préparation culinaire dont les premières mentions écrites remontent à la Mésopotamie du VIIIe siècle avant J.-C. De fait, le pois chiche faisait partie des produits déjà cultivés dans le Croissant fertile, et des philosophes comme Socrate ou Platon en ont d’ailleurs vanté les qualités nutritives. Il semble toutefois que ce soit au XVe siècle que la forme moderne du houmous, autrement dit le mélange avec la purée de sésame et l’ajout d’épices comme le cumin, ait fait son apparition dans différentes régions de l’Empire ottoman.

Pour chaque compétiteur, la paternité du plat relève d’une évidence. En 2010, l’Association des industriels libanais lançait une procédure pour le faire inscrire au patrimoine national. A l’image de ce que la Grèce a réussi à obtenir en 2002 avec la feta, l’organisation patronale tentait aussi de convaincre l’Union européenne de n’accepter l’appellation « houmous » que pour les produits en provenance du Liban. Une initiative qui a déclenché un tollé en Israël — mais aussi en Syrie et en Turquie — et mobilisé la diplomatie de Tel-Aviv. « Pour nombre d’Israéliens, le houmous est une véritable religion », explique l’écrivaine Janna Gur, auteure d’un livre sur la nouvelle cuisine israélienne. Selon elle, l’appropriation de ce plat par ses compatriotes est plus que symbolique. Comme l’adoption de l’hébreu, elle signifierait « la volonté d’un ancrage définitif dans la terre proche-orientale et ses traditions ».

Un volontarisme culinaire dont les motivations identitaires n’échappent pas aux Libanais. « Les Israéliens veulent tout nous prendre. La terre comme le houmous. Il fallait réagir et défendre notre héritage », martèle M. Hassan Hani, un restaurateur de Tripoli. En mai 2010, dans le village d’Al-Fanar, trois cents chefs libanais, dont le très cathodique Nadim Shwayri, ont confectionné une « platée » de onze tonnes et demie de houmous. Un record mondial destiné à effacer celui précédemment réalisé, en janvier de la même année, par le bourg arabo-israélien d’Abou Gosh (quatre tonnes) (2). Si elle s’est calmée depuis, cette chasse au record mondial symbolisant la maîtrise —et in fine la paternité— du houmous risque fort d’être relancée à l’hiver 2015. En effet, il se dit que c’est l’émirat de Dubaï, où résident de nombreux expatriés libanais et syriens, qui s’apprêterait à entrer dans la danse avec un objectif minimal de quinze tonnes.

Aux Etats-Unis,
une entreprise israélienne
contrôle les deux tiers du marché.

Pour autant, cette guéguerre ne se résume pas à un Clochemerle proche-oriental. En effet, le houmous est l’un des mets parmi les plus en vogue depuis une vingtaine d’années, et de nombreux débouchés s’ouvrent à lui. C’est le cas, essor du végétalisme oblige, des Etats-Unis, où les deux tiers du marché sont contrôlés par la firme Sabra, filiale depuis 2005 de l’entreprise israélienne Strauss. Sabra multiplie les initiatives pour promouvoir la purée de pois chiches, notamment par une campagne publicitaire coïncidant avec la finale du Superbowl, un événement qu’une grande partie des Etats-Unis vit devant la télévision en mangeant toutes sortes de snacks.

Evalué à plus d’un milliard de dollars, le secteur du houmous en Amérique du Nord engendre du coup de nombreux regrets chez les exportateurs libanais, qui n’admettent pas que ce plat soit désormais identifié à Israël. Leur offensive pour imposer une appellation d’origine contrôlée — laquelle, à en croire les spécialistes, n’a aucune chance d’aboutir aux Etats-Unis — s’expliquerait donc aussi par des motivations commerciales. C’est ce qu’affirment, en tout cas, les dirigeants de Sabra, qui laissent aussi entendre que les appels au boycottage de leurs produits, dans le cadre de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), relèvent de cette logique mercantile. En tout état de cause, depuis quelque temps, les publicités de Sabra prennent bien soin d’évoquer la Méditerranée et l’exotisme du Proche-Orient plutôt que d’assimiler les produits à Israël. Une stratégie qui ne fonctionne qu’à moitié, puisque les appels au boycottage sont loin d’avoir disparu. Et c’est pour calmer toutes ces passions qu’un homme d’affaires israélo-américain a proposé en 2012 que le 13 mai soit la journée mondiale du houmous. Une initiative fraîchement accueillie au Liban et en Egypte, mais qui a malgré tout rassemblé plusieurs milliers d’internautes du monde arabe sur les réseaux sociaux.

Akram Belkaïd

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